01. SAINT-VALENTIN
PDV BIANCA
La vue depuis ma chambre n'est pas idéale certes, néanmoins, elle garde tout de même un certain charme. A commencer par cette colline. Une colline immense mais surtout, une colline pleine de vie. Une colline de laquelle le soleil se couche chaque jour. Une colline dont la végétation prend la quasi-totalité de la place. Une colline inhabituelle selon moi. Pourtant, cette colline renferme un aspect sombre, un aspect duquel je suis souvent jalouse car derrière elle, se dresse les quartiers les plus riches de Chatoja. Les quartiers dans lesquels vivent les influenceurs, les politiciens, les "stars" de manière plus générale mais aussi les mafieux. Loin de moi cette idée de vouloir un jour vendre une quelconque drogue pour me faire de l'argent, j'ai toujours voulu savoir ce que cela peut-il bien faire, d'être riche. Je ne peux ou plutôt je ne dois surement pas me plaindre. A prêt tout, mon père se tue au travail pour pouvoir me rendre heureuse, me payer un toit, essayer de mettre de l'argent de côté pour mes futures études. La vérité, je la connais, je l'accepte. Mais je ne peux m'empêcher de penser que nous ne vivons pas dans le même monde. Je sais que jamais je ne pourrai un jour faire des études en droit comme j'en rêve depuis toute petite. Je sais que je devrai toujours travailler dans ce magasin pourrit qu'est Make-UP and Style. Je sais que jamais je ne pourrai dire à une quelconque progéniture "Achète tout ce que tu veux pour ton anniversaire". Tout cela, toute cette réalité, je la sais, je la connais. Ma vie a été dictée pour être comme elle l'est. Ma vie c'est ça, c'est la pauvreté, c'est l'absence de ma mère depuis mes 9 mois, c'est un père aimant, ce sont des amies drôles et gentilles, c'est un petit ami parfait. Alors peut-être qu'au fond, ma vie n'est pas si terrible que cela. J'ai tout de même beaucoup de chance. C'est ce que je me dis chaque soir avant de me coucher. Chaque soir je remercie Dieu pour la vie que j'ai. Lui seul c'est que je ne suis pas la plus à plaindre.
L'alarme que j'ai programmé sur mon téléphone sonne. Il est temps pour moi de commencer à me préparer pour aller travailler chez Make-UP and Style. L'envie de rester chez moi prend entièrement possession de mon corps mais je me délie d'elle.
Je ne peux pas et tu le sais !
J'arrête l'alarme dont le bruit s'intensifie au fur et à mesure de ma réflexion. Je range mon téléphone dans une des poches arrière de mon pantalon puis entreprend de me coiffer mes cheveux. Je vais dans ma salle de bain. Je sors donc de ma chambre puis marche dans mon étroit couloir dont la lumière a de plus en plus de mal à se répandre En effet, dehors, les plantes commencent de plus en plus à s'installer sur la façade de ma maison. M'empêchant au passage de pouvoir correctement m'éclairer dans cette demeure déjà si sombre. Je dépasse deux portes toutes deux de couleurs noires puis au fond de ce couloir, je vois ma salle de bain. J'entre dans celle-ci sans oublier de fermer la porte derrière moi. J'inspecte mon reflet dans le miroir. Mes yeux sont gonflés, mes cheveux en pagaille, mon teint de nature pâle, mes énormes cernes. Je ne suis définitivement pas belle. Au fur et à mesure des années, j'ai réussi à me rassurer en me disant qu'au moins, à défaut d'être belle, je suis naturelle. Mes deux meilleures amies, Julietta et Gioia persistent tout de même à me dire que je suis magnifique. Je n’y crois absolument pas. A vrai dire, je crois que la seule chose que j’aime sur mon corps ce sont ces grains de beauté présents sur mon avant bras gauche qui forment une étoile. Voilà, mon seul point positif. Après plusieurs débats avec Julietta et Gioia, nous avons toutes les trois décrété que le plus important chez une personne, c'est la beauté de son cœur. Je pense que c'est pour cela que j'ai la chance d'avoir un copain. Je suis pratiquement sûre qu'Adrian a réussi à voir cette facette de moi que personne n'avait jusqu'à la vue. C'est pour cela que je l'aime.
Un premier coup d'œil sur l'horloge et je comprend qu'il vaut mieux pour moi que j'accélère ma préparation. Je prends directement ma brosse à cheveux et entreprends de brosser mes longs cheveux bruns.
Un deuxième coup d'œil sur l'horloge, cette fois-ci, la sentence est irrévocable. Je n'ai en aucun cas le temps de commencer à me mettre de la crème ou je ne sais quelle invention du XXIème siècle qui consiste à nous faire croire, nous les filles en "manque de beauté" que si l'on applique ces choses sur notre visage, du jour au lendemain nous allons devenir la nouvelle Angelina Jolie. Et pourtant, Dieu sait à quel point j'y crois à ces inventions...
Un troisième coup d'œil sur l'horloge et je comprend que je suis déjà belle et bien en retard de 5 minutes. Et puis, après tout, pourquoi pas. Je suis déjà en retard. Autant que je le sois pour une bonne chose non ? Je pris donc ce fameux pot de crème que j'applique délicatement sur ma peau. Je contourne principalement mes yeux marrons en essayant de cacher ces cernes au maximum.
Un dernier coup d'œil sur cette même horloge verte claire et je comprends que j'ai perdu trois petites minutes supplémentaires. Rien d'alarmant en soi, mais je sais à quel point 1 minute en retard peut mettre en colère ma terrible cheffe...
Je cours jusqu'à ma chambre, met mes chaussures bleu foncés, repositionne correctement le haut noir de mon uniforme de vendeuse, prend au hasard une des mes paires de boucle d'oreil. La voix de mon père fait irruption dans ma chambre.
— Bianca ! Dépêche toi tu vas encore être en retard. Ça va faire 3 fois cette semaine !
Mes yeux s'ouvrent en grand. Mon père me fait rarement des remarques sur mes différents retards. Je sais pertinemment que si il le fait, c'est que je dois commencer à m'inquiéter. Je m'exclame donc apeurée.
— Oui papa ! J'arrive !
Mes chaussures lacées, mon manteau mis, mes cheveux attachés, mon sac sur mon épaule, mes boucles d'oreilles misent. Je suis fin prête.
Je cours encore une fois à travers ce sombre couloir mais cette fois-ci, je pars du côté droit pour descendre les escaliers, eux aussi très étroits. De part mon expérience, je sais qu'il ne vaut pas mieux les descendre avec des talons. La dernière fois, je m'en suis sorti avec une cheville cassée. Heureusement que je ne revenais pas de soirée...
Je passe très vite par ma cuisine pour faire un bisous sur la joue de mon père. Voyant qu'il commence à ouvrir la bouche surement pour me gronder, je me dépêche de parler avant lui.
— Oui. Je sais. Ne t'inquiète pas, c'est la dernière fois que je suis en retard. S' il le faut, je me lèverai plus tôt.
Mon père me sourit faisant ainsi ressortir ses adorables fossettes sur le côté de sa bouche.
— Non, ce n'est pas ça que je veux te dire...
Connaissant extrêmement bien mon père, je comprends que quelque chose le tracasse. Phénomène assez étrange puisqu'il est une des personnes les plus sincères que je connaisse. Face à mon regard interrogateur, il continue sa phrase.
— Tes boucles d'oreilles. Murmure t-il. Tu en as mis deux différentes.
— Quoi ?
Je me dirige vers la glace présente dans la cuisine, souffle d'agacement et arrache quasiment ces fichues boucles d'oreille. Ma journée commence vraiment bien ! Je repasse voir mon père.
— Merci. Bonne journée. A ce soir !
Je lui fais un très rapide câlin puis sors de chez moi. Aussitôt la porte fermée, je me mets sur mes gardes. Le quartier dans lequel j'habite est l'un des plus dangereux de Chatoja. Ici, il vaut mieux éviter de sortir son téléphone pour regarder l'heure car nombreux sont les voleurs. Mes pieds accélèrent automatiquement pour fuir ce quartier et arriver le plus vite possible chez Make-UP and Style. De nombreux hommes passent à côté de moi en me regardant avec des sourires les plus pervers les uns que les autres. Ces sourires auraient pu me dégouter des hommes il y a quelque mois mais ma rencontre avec Adrian m'a permis de comprendre qu'ils ne sont pas tous comme ça. Simplement que les meilleurs sont les plus durs à trouver.
J'arrive assez rapidement sur mon lieu de travail. J'ai à peine mis un pied dans le magasin que la voix aiguë et totalement désagréable de ma cheffe me cloue sur place.
— Encore en retard Hebara ! Quand est ce que vous allez faire enfin des efforts pour être à l'heure ?
Son regard bleu perçant me fait comprendre qu'il ne vaut mieux rien répondre. Encore une fois, je me tais, baisse la tête.
Ne t'inquiète pas Bianca, un jour tu y arriveras.
Je suis arrivée au point de non retour. A ce point maximum de la solitude. C'est-à-dire que vous vous sentez tellement seule que votre propre cerveau commence à vous parler. En tout cas, c'est ce que vous pensez. La vérité, c'est que vous essayez de vous rassurer. Vous essayez de ne pas vous apitoyer sur votre pauvre petit et ridicule sort. Pourtant... Pourtant... La vérité est hélas là.
Après avoir crié pendant 5 minutes, madame Rodriguez, ma cheffe, se calme, me tourne le dos et remonte dans son bureau. C'est dans ses habitudes de crier très fort sur quelqu'un puis de partir comme si de rien n'était. Je commence vraiment à croire que cette femme est bipolaire. Commencent à prendre l’habitude, je n’écoute même plus ce qu’elle dit et préfère penser à des choses plus gaies.
Le magasin Makeup and Style est selon moi un véritable cliché des magasins de maquillage. Par où commencer ? Tout d’abord par l’immense façade rose fuchsia. Aussi, dès que vous entrez, vous êtes assommé par la puissance de la musique si bien que pour parler à une cliente vous êtes obligé de hurler, ce qui provoque chez nous, les vendeuses, régulièrement des extinctions de la voix. Le magasin comporte 4 rangées principales dans lesquelles sont classés tous les produits de Make-UP du mascara aux crèmes hydratantes en passant par les eye-liner, c'est ici que vous trouverez votre bonheur. Nous sommes au total 3 vendeuses : Gioia, Julietta et moi. Mes deux meilleures amies sont aussi mes collègues de travail. Au début, j'avais peur que ça crée des tensions mais finalement, tout va bien. Je pense que c'est en partie dû à nos caractères complètement différents. Julietta est celle qui se fait le plus remarquée mais qui surtout est la plus "attirante". Ses longs cheveux longs blonds frisés et ses yeux azur lui procurent un charme infaillible. Elle même avoue qu'elle profite de son charme car mademoiselle est une adepte des coups d'un soir. En effet, Julietta se proclame indépendante de la tête aux pieds ! De nous trois Gioia est la plus joyeuse. Celle-ci passe son temps à sourire et à complimenter n'importe quel individu. Côté physique, Gioia possède de courts cheveux auburn. Elle est plutôt petite et assez fine. Ses yeux sont verts et son teint assez mate.
En m'approchant des caisses, je remarque que mes deux amies sont déjà en train de rire. Dès qu'elles me voient, elles me sourient en arrêtant leur conversation.
— Alors ... Commence Julietta.
— Je me suis encore fait engueuler. Mais bon, je commence à avoir l'habitude. Je souffle agacé tout en posant mon sac et ma veste sur un portemanteau. J'ai tellement hâte de quitter ce boulot de merde.
— Oui mais enfin bon, pour l'instant tu n'es pas encore accepté. Donc évite de trop t'enflammer. Me contredit Gioia.
Malgré sa joie habituelle, Gioia est la plus peureuse. Je pense plutôt que ce côté de sa personnalité est une qualité et non un défaut. Puisque dans certaines situations, comme celle-ci, j'ai souvent tendance à "m'enflammer", comme elle aime si bien le dire. Un de mes nombreux défauts, je dois bien l’avouer.
Il y a quelques semaines, en allant dans un des magasins de chaussures de Chatoja présent de l'autre côté de la colline, j'ai remarqué une annonce de recherche de vendeuse. J'ai donc décidé de sauter sur l'occasion en espérant, pourquoi pas, de gagner plus d'argent en travaillant dans un quartier mieux réputé.
La sonnerie de la porte m'indique que des clients viennent de rentrer dans le magasin. Aussitôt, Julietta met en marche l'assourdissante musique. Ça y est, ma journée vient de commencer et j'ai déjà hâte qu'elle se finisse. Je sors mon téléphone de ma poche arrière pour le poser dans mon casier présent sous le meuble de la caisse enregistreuse. J'appuie sur l'écran pour regarder l'heure et remarque une notification qui m'intéresse énormément. Je lève ma tête pour vérifier que Mme Rodriguez ne va pas me surprendre en train de "frauder" comme elle le dit sans cesse et déverrouille mon écran d'accueil. Je me dépêche de cliquer sur l'application message et vois qu'il s'agit d'Adrian qui m'a envoyé ce message. Un sourire vient directement prendre sa place sur mon visage. Je le lis attentivement en essayant de l'imaginer me dire ces mots.
Coucou mon amour,
J'espère que tu as bien dormi.
Bonne Saint-Valentin.
J'ai énormément de chance d'avoir une valentine comme toi dans ma vie.
Ce soir c'est cinéma en amoureux.
Rendez-vous à 20h30 devant le Palacio José. Je ne te dis pas le film,
ça sera une surprise.
A ce soir.
Je t'aime.
Dire que je ne suis pas amoureuse est un mensonge. Peut-être même le plus gros que je n'ai jamais dit. Je sais au plus profond de moi que cet homme a été fait sur mesure pour moi. Je me vois passer le restant de mes jours avec lui si ce n'est plus. Mes doigts viennent d'eux même taper la réponse sur la pavé tactile de mon téléphone.
Bonjour chéri,
Merci pour ton message.
Bonne Saint-Valentin à toi aussi.
OK pour ce soir. J'ai hâte.
Je t'aime très fort.
J'éteins très vite l'écran de mon téléphone, le range et fait mine que rien ne s'est passé. J’ai complètement oublié qu’on est le jour du 14 février. Je ne peux empêcher tout mon être de commencer à être excité par le rendez- vous de ce soir.Peut-être qu'après tout, cette journée commence bien.
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