02. PALACIO JOSÉ
PDV BIANCA
Lorsque ma journée de travail se termine, je n'en peux plus. Ma tête est prise d'un maux de tête infaillible auquel je ne connais aucun remède. Mes jambes tremblent comme des feuilles à cause de cela, je manque d'ailleurs plusieurs fois de tomber. Quand je fais beaucoup d'effort, mon souffle s'accélère rapidement. Madame Rodriguez dit ne pas croire à mes problèmes quand l'idée me vient de lui demander ne serait-ce que cinq minutes de repos. C'est un véritable démon. J'ai appris il y a quelques semaines qu'elle est mariée. Je me demande toujours comment un homme peut supporter une femme comme elle. Je n'ai pas encore trouvé de réponse à ma question. Mais j'y trouve beaucoup de supposition. Comme par exemple, peut-être que cet homme a su voir au dela de son tempérament, peut-être que madame Rodriguez, au fond d'elle, est une femme respectable, gentille et douce ? Encore une fois, mes "peut-être" ne vont pas servir à grand chose. J'ai toujours eu ce problème. Celui-ci de trop penser. On me le fait souvent remarquer, parfois même trop souvent. Certains disent que je pars dans des idées trop extrêmes. Je pense le contraire. Je pense qu'un monde sans "peut-être" est un monde triste et solitaire.
Un peu comme toi
Oui, c'est vrai. Un peu comme moi. C'est pour cela que je sais très bien que si jamais notre monde devient comme moi. On est fichu. Etant petite, je voulais devenir une princesse. Je voulais devenir comme papa n'ayant jamais eu l'exemple d'une mère. Ma mère est partie quand j'avais 9 mois. Je n'ai donc aucun souvenir d'elle. Les photos ne me servent à rien, parce que la seule chose que je vois c'est son visage et non ses pensées. Je veux savoir si elle m'aimait. Je veux savoir si elle pouvait tout faire pour me sauver. Je veux savoir si elle était fière de moi. Comme réponse, encore une fois, mes "peut-être" reviennent à la charge. Ils veulent que je devienne esclave d'eux. Mais je ne le peux pas et je ne le ferai pas. Je sais faire la différence entre le bien et le mal, entre l'inconscient et le subconscient, entre la paix et la guerre, entre l'opposé et le similaire. Tout cela, je le sais, je l'entend, je le comprends.
Ma journée s'est passée simplement, sans prise de tête. J'ai réussi à faire vendre les produits de Make-Up and Style a quelques nouveaux clients. C'est-à-dire, tout ce qu'on attend d'une simple vendeuse comme moi. Je regarde encore une fois l'horloge positionnée juste au-dessus de la porte d'entrée du magasin. Détail assez important, l'horloge est exactement de la même couleur que la peinture du mur; c'est-à-dire rose fushia. Madame Rodriguez a toujours eu des goûts assez pointues en décoration d'intérieur. Cela ne me dérange pas. Je pense que l'originalité est en quelque sorte le pilier fondamental de nôtre être. Je ne peux pas imaginer le monde avec 7,888 milliards de personnalités complètement identiques. Je ne peux pas les imaginer avec des rêves et des envies similaires, avec les mêmes goûts, avec les mêmes manies. Pour moi, c'est tout bonnement impossible.
— Tu n'as pas fini ta journée ?
La douce voix de Julietta me sort de mes pensées. Je n'ai toujours pas lâché mon regard de l'horloge. Mais pourtant, je n'ai pas non plus pris le temps de lire l'heure qu'il est. Alors, comme des aimants, mes yeux cherchent ces deux aiguilles. Il est 20h03. Pour une fois, je ne suis pas en retard. Je dois par contre avouer que je ne suis pas non plus en avance. En plus de cela, je n'ai pas encore prévenu mon père que j'allais arriver en retard à la maison. Je me retourne vers Julietta et lui parle d'une voix monotone.
— Tu as raison. Je n'ai pas vu l'heure passée.
Julietta me sourit.
— Alors... Avec Adrian, vous allez sortir ce soir. Parce que tu sais, c'est la Saint-Valentin...
Julietta ne sait pas vraiment quoi me dire. Je peux la comprendre. Adrian n'est pas connu pour son romantisme. C'est d'ailleurs très étonnant qu'il ait tenu à m'inviter au cinéma.
— Oui ! Il m'a invité à aller voir un film au cinéma. Peut-être qu'il a finalement changé d'avis sur les rendez-vous ?
Cette phrase est pour moi un cri d'espoir. J'ai toujours voulu avoir un petit-ami romantique, sans prise de tête. Une personne bien.
Mais cela n'existe pas à Chatoja.
Julietta semble tellement heureuse pour moi. Elle lâche d'ailleurs un petit cri d'excitation en me prenant des ses bras. De nous trois, elle est la plus tactile. Celle qui a toujours besoin de faire un câlin à l'autre pour se faire accepter. Quant à moi, j'apprécie cette facette de sa personnalité. Cela la rend plus vivante.
— OK. Je vais te maquiller, te coiffer et te faire une manucure et si on a le temps une pédicure. Il faut absolument que tu sois prête. J'envisage de te ...
— Julietta... J'essaye de la couper pour lui faire voir la réalité en face. Nous n'aurons jamais le temps de faire tout cela.
—... prêter cette robe que j'ai achetée l'été dernier. Elle t'ira sûrement mieux qu'à moi, elle me fait de trop grosses cuisses...
— Julietta... J'essaye encore et encore. Mais c'est comme si son cerveau s'est mis en play et qu'il est impossible de la mettre sur pause.
— En plus Gioia est partie en avance, je vais devoir faire ta mise en beauté toute seule. Tu sais à quel point j'ai horreur de...
— Julietta !
Cette fois-ci, j'ai décidé de m'imposer en criant son prénom. Chose qui a apparemment réussi puisqu'elle s'arrête d'un coup en me regardant avec de grands yeux. Décidément quand elle s'y met, elle s'y met vraiment...
— Ecoute, je me tripote les doigts en essayant d'être le plus bref possible sans trop la blesser. Elle a littéralement un cœur en guimauve. Je pense que nous n'aurons jamais le temps de faire tout cela étant donné qu'il est déjà... Je regarde encore une fois l'horloge. En voyant l'heure, j'ai cru que mon cœur allait lâcher. 20h21 ! Oh mon dieu.
— Je sais que tu es en retard, mais ce n'est pas la peine de dire que je suis un dieu. Julietta suffit déjà !
Julietta commence à rire mais je lui envoie mon plus beau regard noir. Ce n'est pas le moment de blaguer. Surtout pour des blagues aussi mauvaises. Prise d'un élan de panique. Je me mets à courir vers les vestiaires, retire ma veste et mon sac du porte manteau et vais chercher mon téléphone dans les casiers sous la caisse enregistreuse. Julietta me regarde étrangement étant donné que je ne lui ai donné ni l'heure à laquelle j'ai mon rendez vous ni où se trouve le cinéma. Mes affaires prises, je me précipite vers Julietta pour lui claquer un bisou sous la joue puis je me dirige vers la porte d'entrée.
— Bianca ! Julietta m'interpelle. Je me retourne rapidement pour la regarder. Surtout, éclate toi. Des soirées comme celles-là avec lui, il n'y en aura pas des centaines.
Je lui sourie parce qu'au fond, elle a complètement raison. Connaissant le caractère d'Adrian, ces soirées-là sont rares et elles le resteront. Alors autant bien en profiter. Peut-être que demain il ne pensera absolument plus de la même façon et pensera que cette soirée ne vaut pas le coup. Que je ne vaut pas le coup.
Et voilà, tu recommences encore avec tes peut-être.
Je ne peux m'empêcher de me dire que cette voix dans ma tête a raison. Elle a toujours raison.
Je reporte mon attention sur Julietta.
— Tu as raison. Je vais profiter à fond.
Julietta m'offre un grand sourire et lève ses deux pouces en l'air. Qu'est ce que j'adore cette femme !
Cette fois-ci, je sors de chez Make-UP and Style et me dirige vers le Palacio José. De tête, je crois qu'il doit être à une quinzaine de minutes à pied. Mais avec les jambes que j'ai en cette fin de journée, je devrai en mettre 20.
Tu ne peux pas être en retard.
Tu ne dois pas être en retard.
C'est vrai. Elle a encore raison. Je ne peux pas me permettre d'arriver avec une seule minute de retard. Déjà parce qu'Adrian a horreur de cela. Mais aussi parce que ce moment est tellement précieux. Je pense qu'il doit l'être autant pour lui que pour moi.
En es-tu sûre ?
Bien sûr que je le suis. Pour qui se prend-elle à la fin ?
J'intensifie donc mes pas. Peu importe que j'ai mal aux jambes. Parce que cela en vaut la peine. Parce qu'il en vaut la peine. Après de longues minutes de torturent, je décerne l'immense façade du Palacio José. Cette vision me donne encore plus de courage. J'avance encore plus vite, pour aller encore plus loin. Je m'approche de plus en plus du but final quand je l'aperçois. Lui. Adrian. Sa beauté me fait soudainement face. Qu'est ce qu'il est beau. Une taille moyenne, un corps musclé mais pas trop tôt non plus, des cheveux châtains foncés et des yeux bleus. Tout ce que j'aime est en lui. Au début, je ne pouvais pas croire qu"un homme aussi beau s'intéresse à une fille comme moi. Pourtant, des jours sont passés, des semaines sont passées, des mois sont passés et nous sommes ensemble. Lui et moi formons un couple. Ce couple dont j'ai toujours rêvé, c'est à présent nous. Lorsqu'il me voit, une étincelle d'amour s'allume dans son regard. Je suis à 99% sûre que la même étincelle est présente dans mon regard.
— Mon amour, tu es enfin là.
Quand j’arrive à côté d’Adrian, il me prend dans ses bras si chaleureux. J'accepte son étreinte et met ma tête dans son coup pour humer son odeur comme j'ai l'habitude de le faire. Pourtant, il fait quelque chose qui alerte tous mes sens : il a un mouvement de recul. Ce mouvement m'empêche de me concentrer sur la suite de notre câlin. Je m'écarte précipitamment de lui.
— Qu'est ce qu'il t'arrive. Tu as l'air étrange...
Ma voix se casse sur la fin de ma phrase. J'ai si peur qu'en un claquement de doigt, il disparaisse me laissant affronter le monde sans lui...
— Ne t'inquiète pas mon amour. J'ai simplement eu... Adrian se racle la gorge en étant presque gêné. …une journée difficile.
Sa phrase me laisse tout de même sceptique et ma curiosité monte en flèche. Tout de suite le doute m'accable. Et si c'est de ma faute.
Arrête.
J'essaye de me calmer, en vain. Adrian plante ses yeux dans les miens et voit qu'il y a un problème. Il met chacune de ses mains sur un côté de ma tête et me murmure des mots apaisants.
— Calme toi Bianca. Je t'assure que tout va bien. Tu n'as rien fait de mal, au contraire, ta présence m'apaise.
— Tu es sûre, tu parais pourtant tellement mal.
— Ne t'inquiète pas mon amour, tout va bien.
J'hoche la tête maintenant sûre qu'il va bien. Adrian prend ma main pour m'emmener à l'intérieur du Palacio José. Je suis étonné de voir que personne n'est présent à l'intérieur du cinéma. Adrian semble comprendre mon désarroi puisqu'il décide de m'éclaircir sur le sujet.
— Je nous ai privatisé tout le Palacio José pour cette nuit. Comme ça, personne ne pourra venir nous déranger.
Un hoquet de surprise sort de ma bouche, ma main qui auparavant tenait celle d'Adrian se détache de lui et tombe le long de mon corps.
— Comment ça "privatiser" ?
— Je voulais passer plus de temps avec toi et te prouver tout mon amour.
Même si il semble penser très profondément ce qu'il dit. Une question me paraît quand même importante.
— Mais enfin, où as-tu trouver l'argent pour privatiser ce cinéma alors que déjà une place coûte une blinde.
Adrian se retourne face à moi, et s'approche. Son regard change en une fraction de seconde. Fini les belles flammes. Maintenant, j'ai le doit à des yeux me lançant un regard mortel.
Ce n'est pas dans son comportement habituel de me regarder comme cela.
C'est faux.
— Pourquoi vouloir parler des sujets qui fâchent maintenant Bianca ? Pourquoi ne veux-tu pas passer un bon moment en ma compagnie ? Pourquoi tout cela ne te suffit-il pas ?
Je ferme les yeux. Quelle idiote suis-je. Il a fait tout cela pour moi, pour me rendre heureuse. Comment ai-je pu être aussi aveugle. Comment ai-je pu penser à l'argent ? Cela ne me ressemble pourtant pas.
Je rouvre les yeux et vois que comme par magie, son regard est redevenu normal. J'avance de quelques pas vers lui pour lui prendre la main.
— Pardon, tu as raison. Je décide de changer de sujet voyant qu'il s'est calmé. Qu'allons nous voir ?
Adrian me sourit. A la vue de sa belle rangée de dents blanches, je sens mon coeur partir vers un autre monde pour espérer secrètement de voir tout le temps ce sourire.
— Si je te dis un classique ? Adrian m'amène vers une des salles du Palacio José.
— Hummm. Je connais la réponse mais je fais quand même mine de réfléchir. Voyons voir, Roméo et Juliette ?
Adrian s'introduit dans une des rangées de la salle et s'assoit au milieu, je m'installe à ses côtés.
— Bien joué mon amour.
Encore une fois, mon cœur voulait me lâcher mais je l'arrête.
Le film dure à peu près 1h55, c'est-à-dire de quoi observer discrètement Adrian. Il est devenu très vite ma passion. Avant même ce film que je connais maintenant par coeur. Papa m'a toujours dit que c'était le film préféré de maman. Je pense que c'est pour cela que j'y ai accordé un intérêt particulier. Lorsque les premiers noms des acteurs apparaissent à l'écran signalant la fin du drame qu'est l'histoire de Roméo et Juliette, Adrian se tourne vers moi.
— Joyeuse Saint-Valentin mon amour.
J'ouvre ma bouche pour lui répondre mais je suis arrêté par le bruit d'une détonation suivie de cri. La scène se passe tellement rapidement que mon cerveau n’a pas le temps de comprendre la situation dans laquelle je me trouve. Une dizaine de personnes rentrent dans la salle tous habillés de noir et cagoulés. Ils tiennent dans leur main une arme que je pense être une mitraillette. Ces hommes se précipitent vers Adrian et moi. Adrian a le réflexe de se lever et de partir en courant me laissant seule. Réflexe que je n’ai apparemment pas puisque je reste assise sur mon siège. Des hommes se jettent sur moi et me forcent à les suivre. J’essaye de me débattre au maximum mais je dois me rendre à l’évidence : ils sont beaucoup plus forts que moi. Au loin, j’entends Adrian crier pour qu’on le lâche. A vrai dire, j’entends très peu de choses à cause du bruit des détonations et des armes. Ma tête tourne et je sens mon corps commencer à tomber. Les hommes en profitent pour attacher mes mains et mes pieds. Je sens que mes yeux commencent à se fermer. Mais avant ça, je réussi à voir un homme qui s’avance vers moi. Celui-ci retire sa cougale. Grâce à cela, j’arrive à voir son visage ovale, ses yeux verts et ses cheveux bruns. Cette même personne s’accroupit à côté de moi puis me dit d’une voix froide.
— Enchanté Bianca, moi c’est Juan, ton nouvel ami.
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