03. LE DIABLE
PDV BIANCA
Un seul goût, celui du sang.
Une seule envie, celle de se battre.
Une seule peur, celle de mourir.
Une seule douleur, celle de mon cœur.
Allongée sur ce matelas, qui ne m'inspire aucune confiance vu l'odeur qu'il dégage, je me remémore ce qui s'est passé il y a sûrement quelques heures. N'ayant aucune notion du temps à cause de l'obscurité de la cellule, je ne sais pas quelle heure il est, ou tout simplement s'il fait jour ou nuit.
Ma cellule est petite, crasseuse et une immonde odeur de sang se répand dans l'air. Il n'y aucune fenêtre et les murs sont habillés de sombres pierres. Sur le sol, il y a juste la présence d'un matelas et d'une chaise en acier. Le reste est recouvert d'un carrelage blanc dont plusieurs taches de sang le couvrent.
Mon ventre se retourne plusieurs fois, de peur, de malheur. Je ne sais ni où je suis, ni pourquoi suis-je là et encore moins où est Adrian. Il me manque. J'ai peur sans lui. Plusieurs fois, je me sens tomber dans le vide. Mais je me reprends. Je me dois d'être courageuse comme papa me l'a toujours appris.
Papa.
A cette pensée, mon cœur se serre et les larmes menacent de couler mais je les retiens.
Tu dois être forte Bianca.
Oui, je dois être forte et je vais le faire. Je vais réussir, enfin.
Parce que je le peux.
Parce qu'au fond, je le suis.
L'horrible bruit d'un grincement de porte attire mon attention. Un regard vers la porte et toute ma confiance s'envole. Un homme rentre. Le même qui m'a emmené ici.
— Bonjour principessa, comment te sens-tu ? Je suis pose que tu te souviens de moi.
Son air narquois m'énerve et me dégoûte. Surtout, j'ai peur. J'ai peur de lui et de ce regard. Je commence à trembler. Mais je me reprends parce que je suis Bianca Hebara. Parce que je suis forte.
Je réponds alors d'une voix forte.
— Comment oublier le prénom de mon kidnappeur, Juan ?
Juan relève la tête de surprise. Il ne s'attendait sûrement pas à mon changement de visage. Je l'ai surpris et j'adore cela.
— En effet, il est dur d'oublier le prénom de son kidnappeur. Mais principessa, sais-tu qui je suis ?
Non. Je ne sais pas qui il est. Je n'en ai absolument aucune idée. La seule chose que je pense savoir c'est qu'il doit être très important. Et puis, je pense aussi qu'il doit être sérieusement timbré pour avoir une cellule chez lui. Qui a ça chez soi ? Personne à l'exception de Juan.
Juan semble connaître mes pensées puisqu'il commence à rire. Un rire mauvais.
— Je vois... Je vais me présenter principessa. Je m'appelle Juan et vois-tu, je suis le numéro 2 de Colombe Nero. Le numéro 1, notre capo, est en déplacement pour le business. C'est donc moi qui m'occupe de toi.
Colombe Nero, qu'est ce ? Pourquoi ce nom ? Les questions assaillent mon cerveau. Ma tête commence à tourner. Encore des questions. Encore des "peut-être". Mais jamais de réponses.
Juan marche dans la pièce et prend la chaise, il la tourne et s'assit à l'envers sur elle.
— Maintenant, sais-tu, Bianca, pourquoi es-tu là ?
Cette question, je la veux. Je veux l'entendre pour connaître la réponse. Je la veux.
Immédiatement, je secoue la tête.
— Non, laissez-moi partir. Ma confiance s'est enfin envolée. Maintenant, je suis là, à le supplier. Je n'ai rien fait. S'il vous plaît.
— Ah oui. Tu n'as rien fait ? Tu en es si sûre principessa ? Bon, maintenant je veux savoir qui est le beau mec qui était assis avec toi au cinéma.
Je fronce les sourcils. Pourquoi cette question ? Pourquoi Adrian l'interpelle autant ?
Je me racle la voix maladroitement et commence à parler doucement.
— C'est mon petit ami, Adrian. Puis, je sens ma voix se précipiter. Que lui voulez-vous ? Il est innocent !
Juan rie en levant sa tête en arrière. Décidément, il ne sait faire que ça de rire ?
— Ca vois-tu Bianca, c'est à moi d'en décider. Mais maintenant, j'ai une question à te poser. Sais-tu ce que fait tous les soirs ton amoureux ? Juan exagère sur ce dernier mot avec un air moqueur.
Mes entrailles ont peur. Mon être a peur. Non. Non, je ne sais pas ce qu'il fait. Il doit travailler... Oui ! C'est ça, il me dit toujours qu'il travaille.
Je suis perdue, complètement. Que dire ? Que faire ? Je sais absolument que tout ce que je vais dire va être rapporté et amplifié.
Je suis perdue, complètement. Qui suis-je ? Qui est-il ? Je sais absolument que tout ce que je vais faire va être reporté et amplifié.
Tout.
Alors, je décide de me taire. Juan est quelqu'un de confiant. Si il me pose la question c'est soit qu'il connaît déjà la réponse soit qu'il en est pratiquement sûr.
Tu n'as rien à craindre.
Je répète inlassablement cette phrase parce que j'en ai besoin. Elle devient vitale pour ma survie dans ce trou à rat.
Juan se lève de la chaise, la prend et la repose à l'endroit où elle était initialement. Il part vers la porte et pose sa main sur la serrure, il s'apprête à la tourner mais la lâche. Il lâche ces quelques mots qui me font froid dans le dos sans même se retourner.
— Je reviendrai principessa, sois en sûre, je reviendrai.
PDV JUAN
Cette petite me fait mal au cœur. Quand je la vois, je ressens sa douleur. Mais je ne peux rien faire. Parce que je n'en ai ni le droit ni l'envie de me bouger le cul. Et puis, de tout façon, elle finira comme les autres; une balle entre les yeux, le corps dans un caniveau.
Ah, quelle triste vie pour elle alors que des mecs comme moi se la coulent douce. Enfin bon, je ne vais pas me plaindre, loin de là.
Maintenant que l'interrogatoire de principessa est passé, je vais pouvoir aller interroger l'autre enculé.
Je traverse le couloir alors que plusieurs gardes me saluent de la tête. Salut que évidemment, je ne leur renvoie pas. Cela serait donner trop d'importance à de simples gars comme eux. Ici, dans Colombe Nero, ce ne sont pas les plus dangereux, loin de là. Par contre, des mecs comme Adrian, eux ils sont dangereux pour des petites femmes comme Bianca.
J'arrive devant sa cellule et entre dans celle-ci. Dans la sienne, il n'y a pas de matelas comme dans celle de Bianca. Non, ce chien est assis sur le sol et enchainé comme doit l'être un véritable chien. Dès qu'il entend le bruit de la porte, ce connard ose me regarder dans les yeux avec ces putains d' yeux bleus. Je rugis intérieurement.
— Baisse les yeux.
Comme un bon chien de son espèce, il baisse le regard.
C'est ça. Et tu ferais mieux de garder tes yeux là où ils sont pendant longtemps.
En le voyant comme ça, je décide de jouer un peu avec ses nerfs.
— Elle est pas mal ta copine. Je suis sûre qu'elle pourrait plaire au capo en plus, elle a la langue bien pendue.
A la seconde où j'ai prononcé cette phrase, le connard commence à s'énerver et tente de se lever, en vain à cause des chaînes.
— Qu'est ce qu'elle a dit cette salope ? Crie-t-il en se battant avec les lourdes chaînes en fer.
Si ce connard pense qu'il va réussir à les arracher, il peut toujours rêver.
J'avance dans sa direction puis m'agenouille juste devant lui.
— Je sais que tu trafiques sur notre territoire.
Je vois dans les yeux d'Adrian la surprise puis la colère.
On dirait que pour lui aussi, la colère est son meilleur ami.
Ouais, on dirait.
Ce connard se cache dans un coin de la cellule et place sa tête entre ses mains.
— Comme elle sait ça cette grosse pute ? Putain fait chier !
Je commence à rigoler. Oui, je sais, j'adore rigoler parce que ça fout tout le monde en rogne. Et moi, j'adore ça !
Adrian commence à paniquer, il se tord les doigts.
Je commence à sourire comme un con devant le spectacle qu'il m'offre en tout cas, jusqu'au moment où mon téléphone sonne. Je le sors de ma poche et regarde qui m'appelle. En un coup d'œil, je comprend qu'il vaut mieux pour moi de répondre. Je lance un dernier regard au connard et sort de la cellule. Arrivé dans le couloir, je décroche.
— Ouais.
—Tu réponds enfin ! Ça fait trois fois que je t'appelle. Qu'est ce que tu faisais putain ?
Voyant que la voix de l'interlocuteur commence à vibrer d'énervement, je décide de le calmer rapidement.
— J'étais occupé. J'ai interrogé les deux prisonniers.
— Et alors ?
— La fille est plutôt ton style. Le mec est un gros connard.
La seule chose que j'entends est son souffle. Après quelques instants, sa voix fait de nouveau apparition.
— T'es con. Je m'en fou des meufs. Pense aux règles.
Maintenant, c'est à mon tour de souffler. Lui et ses foutues règles...
— Tu me fais chier avec tes règles.
— Je te conseille de ne pas trop prendre la grosse voix avec moi.
C'est dans ces moments là que je sais m'arrêter. Parce que je sais déjà quelle sera la prochaine étape : la mort.
Surtout aujourd'hui.
— Tu arrives dans combien de temps ?
— 20 minutes. Prépare les.
Je comprends grâce au bruit de la fin d'appel qu'il a raccroché. Putain, pourquoi c'est toujours lui qui raccroche en premier ?!
Je monte les escaliers et arrive dans le salon. Salon où la majorité de nos hommes sont assis et bois une bière en parlant de leur dernière mission. Parmi ces hommes, j'en remarque un qui me ressemble énormément. Normal, c'est mon frère.
— Conrad, viens !
Mon frère relève la tête vers moi puis se lève pour se diriger vers moi. Je regarde ma montre et commence à parler.
— A 15h30, tu vas dans la cellule de la ragazza et tu l'amènes dans le bureau du capo.
— Bene.
PDV BIANCA
J'en ai marre. J'ai faim. J'ai soif.
Cette cellule me fait mal à la tête. Je ne peux m'empêcher de penser au sort de mon père. Que lui arrive-t-il ? A-t-il remarqué mon absence ? La police est-elle déjà prévenue ?
Je remet toute ma vie en question. Surtout ma relation avec Adrian. A entendre parler Juan, c'est à cause d'Adrian que je suis là. Sauf que je ne peux croire cela. Je connais Adrian.
Ou plutôt, tu crois le connaître.
Non, je le connais. Je le sais. Je l'aime et il m'aime. On est fait pour être ensemble.
Par contre, ce garçon, Juan, je ne l'aime pas. Je sais très bien que derrière ses airs de "ténébreux gentil", il s'agit d'un vrai diable. Mais ce que je sais surtout, c'est que je ne peux pas vivre indéfiniment ici. Je ne peux même pas uriner quelque part. D'ailleurs, ma vessie ne va pas encore tenir longtemps.
Les gens disent que je ressemble à ma mère. C'est peut-être bête, mais moi, je la sens comme une étrangère. Je ne l'ai jamais vu ou en tout cas, je ne m'en souviens plus. Pourquoi ne veut-il pas de moi ? Pourquoi mon père a dû m'éduquer toute seule ? Pourquoi je n'ai aucune réponse à mes questions. Pourquoi suis-je ici ? Je veux partir, je veux m'enfuir. Sans même réussir à me contrôler, je me lève et crie.
Je hurle ma douleur.
Je hurle ma solitude.
Je hurle pour ma vie.
J'avance vers ces murs et je leur donne de grands coups de points. La douleur s'imprègne dans mon corps et je l'accepte. Je la veux. Je prie pour la sentir en moi parce que j'en ai besoin. Parce que c'est ma bouée d'oxygène. Je continue encore et encore.
Je sens une dégoûtante sensation sur mes phalanges, celle du sang qui coule et coule encore.
Je sens une désagréable sensation sur mon visage, celle des larmes qui coulent et coulent encore.
Je sens une déplorable sensation dans mon coeur, celle de la tristesse qui me casse et me casse encore.
Mais je tiens bon. Je sais que lorsque je suis seule je peux tout faire. Je peux devenir maître du monde, maître de mon monde.
Je le sais, je l'entends, je le comprends.
Un seul bruit réussit à m'arrêter, celui de la porte.
Une seule vision réussit à m'arrêter, celle de l'ombre de quelqu'un sur moi.
Une seule pensée réussit à m'arrêter, celle de la mort.
Mes membres s'arrêtent. Mon regard s'éteint. Mes bras tombent le long de mon corps. Doucement, tout doucement, je me retourne. Mes yeux voient un homme, grand, cheveux bruns, yeux foncés. Cet homme ressemble particulièrement à Juan. Cet homme s'approche de moi et sans dire un mot prend mes mains qu'il attache. Toujours sans parler, il me pousse vers la sortie de ma cellule. Je tremble comme une feuille. Il me fait traverser un couloir puis monter des escaliers. Arrivée au premier étage, la lumière du soleil m'aveugle. Je traverse encore un autre couloir qui mène à une seule porte. Une grande porte en bois. Une porte qui ne m'inspire pas confiance. L'homme me lâche quelques secondes pour ouvrir la porte. Ce que je vois me glace le sang, je vois Adrian assis sur une chaise devant un bureau avec une arme sur la tempe. L'arme de Juan. Je regarde Adrian, cherche ses yeux mais il fait exprès de ne pas me voir. Un léger toussotement me sort de ma vision, mes yeux rencontrent ceux d'un homme, encore un autre. Je repense aux paroles de Juan.
"Le numéro 1, notre capo, est en déplacement pour le business."
Mon dieu, c'est lui, le numéro 1. Je prends quelques secondes pour regarder mon ravisseur. Il a l'air grand, plus grand que Juan, Adrian et que l'homme qui me tient. Ses cheveux noirs foncés lui donnent un air mauvais bien qu'il fait déjà assez peur comme cela. Ses yeux sont perçants, noirs et vides d'émotion. Ses mains positionnées sur le bureau sont recouvertes de tatouages. Je remarque un seul tatouage sur son cou, celui d'une colombe qui semble prendre son envol. Le numéro 1, comme l'appelle Juan, enlève les boutons de sa chemise noir pour pouvoir relever ses manches. Je vois encore des tatouages.
Mais cet homme détient quelque chose qui retient mon attention. Cet homme détient la mort.
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